chroniques ordinaires
         
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[si] c'est de l'art.


C’est comme un manque: tu lis la presse et elle est de moins en moins illustrée, c'est comme si tu ne voyais plus ta belle voisine passer le matin, une journée qui commence mal. Voilà.
Bon là j'entends le choeur des lecteurs protester:
il va nous parler de quoi encore? où il va chercher le mal partout? d'accord notre monde n’est pas toujours drôle mais quand même !

Justement ce n’est de mal que je voudrais parler, mais de beauté, du bon côté des choses, seulement dès qu’on regarde bien les choses, inévitablement , même si l’on voit les trucs positifs, ils sont aussi affublés d’un pile négatif. Ainsi vont les choses, bien et mal, yin yang, noir blanc. Et moi ma vie elle n' est pas construite par des instants uniques: il y a avant, pendant et après et tout se succède, les apparences mélangées au vrai.

Donc cette semaine je n’ai pas trop vu ma belle voisine, mais par contre j’ai lu un article qui me réjoui encore. C’est l’histoire d’un type qui se fait photographier sans le savoir, il a une petite mine, c’est le métro, c’est très tôt. Il y a un autre protagoniste dans l’histoire : le photographe, c’est un artiste et il veut du vrai, donc il se cache pour faire l’image. Comme ça il fait plein de portraits et il les expose. Le type, pas le voleur d’images artistiques, se voit et il trouve que ça porte préjudice à sa quiétude familiale, vous comprenez c’est son mauvais profil. Il dépose la plainte et ne gagne pas: le tribunal estimant qu’il n’est pas montré sous un jour avilissant. Tac ! no comment…

Depuis quelques années les voleurs d’images de rue étaient systématiquement attaqués en justice, genre t’a vu Mimine on voit la queue du chien passer sur la photo, on va pouvoir gagner un peu de préjudice devant le juge… Je ne fais toujours pas de commentaires.

J'ouvre tous mes journaux pas encore dans la poubelle à papier, je fais une analyse page par page et je vois quoi ? rien. Les images sont presque aussi absentes que dans le Monde. Ou alors les visages anonymes sont [floutés]. C’est pas drôle, ça veut dire quoi montrer des gens lisses sans expression ? La peur du préjudice auprès du juge. On y voit que les stars, c’est leur métier d’être vues.

1475, à la gloire des Médicis, Guasparre del Lama riche courtier commande une peinture à Sandro Botticelli, [ l’adoration des mages ] une scène ou l’on voit les mages autour du berceau du divin enfant. Magnifique peinture quelque peu occultée par la Naissance de vénus, que chacun d’entre nous connaît pour l’avoir vue, au moins une fois dans sa vie, sur la boite de chocolat offerte par tante Henriette.

Pour la première fois dans l’histoire de l’art, les artistes s’émancipaient des façons guindées de la représentation obligée de la bible. Invention de la perspective, personnages presque vivants. Là ou la transgression des dogmes de la peinture fût faite il y avait quelque chose de bien plus remarquable : ce que l’on appelle l’autoportrait. Je sais, c’est pas nouveau l’autoportrait, même à la renaissance.

Regardez un livre d’histoire de l’art , à la page Botticelli et celle de l’adoration des mages, on constate quoi : tout le monde regarde de part et d’autre et c’est presque pas possible de croiser un regard. Ca gène parce que comme dit l’ami « mademoiselle c’est la première leçon du premier cours de théâtre : regarder la caméra » et c’est vrai qu’en ces temps de télé réalité on soupçonne la star qui te regarde pas droit dans les yeux , pour le moins de timidité non professionelle et au pire d’être faux cul, on ne vote pas celui qui ne regarde pas la France au fond des yeux.

Et là il fait quoi Sandro B? au milieu de ce groupe occupé à pas autre chose que le petit dernier né, igorant celui qui regarde la peinture, plus aimable un homme nous la fait droit dans les yeux et montre, doigt pointé, un autre homme qui nous regarde fixement [*]. Explication : celui qui est montré c’est Sandro B! Nous on le sait parce que les historiens nous le disent, à l’époque les collectionneurs connaissaient Sandro et on imagine qu’il a profité de cette peinture pour se faire de la pub, comme à la télé, quand tu regardes droit dans les yeux, chacun pense que c’est mes yeux , c'est moi que tu regardes, complicité absolue avec la vedette. Le peintre inventait un petit bout de marketing. C’était en 1475, pendant la renaissance.

C’est quoi le rapport de Sandro B avec les visages floutés ?, grâce à la photographie et au cinéma le siècle dernier nous donnait notre « mémoire » en grand, jamais une époque n’a connu autant de représentations de son histoire collective et c’était pour le peuple une façon de grandir, exister ,sortir du silence de l’histoire, même les plus humbles ont été filmés, archivés. Et tout d’un coup on floute les images, ça veut dire quoi ? Là je dis une réflexion du mal : ça veut dire que progressivement l’histoire ne retiendra plus que les portraits de stars et d’hommes publics, une vie préfabriquée pour une histoire de contes de petites filles et garçons innocents. Le peuple dort toujours bien la nuit, l’histoire est belle et simple.

Bien que Sandro B s'inspirait de l'antiquité paiënne pour les personnages secondaires, les sujets montraient une histoire biblique, magnifiée, au service de puissants mécènes. Dans nos manuels d’histoire de l’art nous ne savons presque rien des gens simples de cette époque. Dans le système actuel de l'industrialisation des médias, des mots existent pour parler de la représentation idéale: images de synthèse ou images virtuelles, mais de quel monde ? Un monde de rêve, associé à la célébrité et l'argent, scénarisé pour le plus grand bien de tous, ou seule la -réalité produite- est invitée, déjà on écrit l'histoire, comme les artistes florentins lorsqu'ils intégraient les représentations de leurs mécènes dans leurs peintures aux sujets religieux.

Le Samedi/Dimanche dernier je suis allé voir une sorte de convention de grapheurs avec bombes (de peinture), point non plus de réalité, les représentations humaines sont sorties direct live de la bande dessinée et d’un vocabulaire de tribu urbaine, ça fait la peinture murale. Ce qu’il y a de formidable dans cette affaire c’est que les grapheurs en plein travail ne sont vus que de dos, évidemment, aujourd'hui, pas d'illégalité, c’est subventionné. On imagine ceux que l’on voit à la télé, avec cagoule, gestuelle dansante de terroristes, en train de bomber des trains, sur un fond musical techno, c'est ce qui restera de cette histoire. En sortant j'observe un jeune homme, un peu à l’écart, pinceau à la main, simplement, s'attachant à peindre des bonhommes presque attendrissants. Peut être que l’un de ces murs résistera quelques siècles, non ?


Jacques Bonnot, 18 Juin 2004


*pour être totalement objectif sur cette question, sur la gauche de cette peinture, figure aussi Médicis, qui lui aussi nous regarde dans les yeux!

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